« La France n’est pas un pays libéral, c’est un pays socialiste »
E. Lombard, ministre de l’Économie & finances de la France
Tout à fait exact.
Jean-Pierre Dumas
Washington DC, 4 février, 2025
« Étrange zèle qui s’irrite contre ceux qui accusent des fautes publiques et non pas contre ceux qui les commettent.»
B. Pascal, onzième lettre écrite aux révérends pères jésuites, 1656
Résumé
Le déficit du budget retraite s’élevait à 4% du PIB en 2023, ce qui représente 75% du déficit du budget des administrations publiques (cf. tableau 2). Si le Gouvernement était sérieux sur la réduction des déficits, il commencerait par la dépense publique la plus importante (les retraites).
Le système des pensions en France, public et privé, suit le modèle de la répartition, c. à d. les employés privés et publics cotisent pour les retraités. Un système par répartition est essentiellement un problème démographique, il dépend du ratio cotisants (actifs) par rapport aux bénéficiaires (retraités) ; si le nombre des retraités augmente dans la population et que celui des actifs diminue, alors le système devient instable jusqu’à devenir explosif. Il y a en 2023, 1.8 cotisant par retraité, le COR projette 1.4 en 2070. La diminution de la part des cotisants par rapport aux retraités n’est pas une caractéristique française, c’est un problème qui s’applique avec plus ou moins d’acuité pour tous les pays.
· Un système à prestations définies
Le système de retraite a une seconde caractéristique qui est, à notre sens, létal, c’est un système à droits définis, c. à d. que les retraités ont droit à une pension égale à un pourcentage de leur salaire, ce qui signifie qu’il n’y a aucune relation entre ce qui a dans la caisse des retraites et les droits à pension. L’État et les partenaires sociaux ont défini par fiat ce que devait être la pension des retraités. S’il y a un déficit, l’État le financera.
« Le système retraite devrait être considéré comme un tout puisqu’au bout du compte c’est l’État, au nom de la Nation, qui est appelé à en assurer l’équilibre général »
F. Bayrou, Haut-Commissaire au Plan (2022)
On a donc un système des retraites qui est, par construction, non viable, un accroissement de la part des retraités par rapport à la population active et un financement étatique (budgétaire) nécessaire pour combler l’écart entre des cotisations insuffisantes pour financer des pensions généreuses fixées à une époque où le ratio actifs/retraités était favorable. En France, au niveau national, le montant total des pensions est 45% plus élevé que le montant des cotisations (pour le COR, il est égal).
· Le COR confond un budget avec un tableau de financement
Comment peut-on avoir un tel écart dans les résultats ? Le COR ne présente pas un budget retraite, il présente un tableau de financement, où les ressources égalent les emplois. C’est la présentation française du budget où on met les emprunts dans les ressources et on déclare fièrement que « le budget est voté en équilibre ». Un budget n’est pas un tableau de financement, c’est un tableau avec des recettes et des dépenses, et un solde qui est rarement positif (surtout en France). Pour le budget de l’État, les recettes sont les prélèvements obligatoires et les dépenses, des dépenses de fonctionnement (dans lesquelles se trouvent les subventions de l’État à un autre organisme public et à des agents) et d’investissement. Pour le budget retraite, les recettes sont constituées par les cotisations des actifs et les dépenses par le versement des prestations durant la même année.
· Le budget des retraites des fonctionnaires est équilibré par fiat
Dans la mesure où l’État garantit en dernier ressort les pensions, fixées d’une manière exogène, des fonctionnaires civils et militaires, le budget des retraites des fonctionnaires est équilibré. Ce budget est un sous budget à l’intérieur du budget appelé compte d’affectation spécial (CAS); le CAS n’est pas un concept économique, c’est un concept idéologique. Cet équilibre est obtenu par des transferts divers tels que : subventions de l’État au budget retraite, transferts d’une caisse, allocation d’impôts. Ces transferts au budget retraite correspondent à des dépenses de l’État. Le COR fait comme si l’agent État qui finance généreusement les retraites des fonctionnaires n’existait pas.
· Le budget retraite est équilibré par des transferts de l’État qui disparaissent dans la consolidation budget État-budget retraite.
Les cotisations pour le secteur privé s’élèvent à 11.3% du salaire brut pour le salarié et 16.5%, à la charge de l’employeur (donc le salaire net de l’employé du secteur privé est réduit de 27.8%). Pour le secteur public, les fonctionnaires cotisent 11.1% de leur salaire et l’État ne paie aucune cotisation (celle-ci sera payée par l’État à la retraite du fonctionnaire, donc son salaire net est réduit de 11.1%). Quand le salarié du secteur privé prend sa retraite, il reçoit une pension qui est égale à 50% de la moyenne des salaires des 25 meilleures années (à condition qu’il ait une carrière complète). Les droits à pension des fonctionnaires civils et militaires représentent 75% de leur dernier salaire brut (les fonctionnaires ne connaissent pas le chômage).
Dans la mesure où les cotisations des fonctionnaires sont insuffisantes pour financer leur retraite, l’État finance la différence entre leurs droits et leurs cotisations. Pour les fonctionnaires civils, l’État contribue 74% de leur salaire qui s’ajoute au 11% financé par le fonctionnaire (soit 85% du salaire brut). Ces 74%, qui représentent la contribution de l’État au financement des retraites de ses fonctionnaires civils, doivent être comparés à la contribution patronale qui s’élève à 16.5% pour les employés du secteur privé. En conséquence, la subvention financée par l’État en faveur de ses fonctionnaires civils s’élève à 57.5% (74-16.5) de leurs salaires bruts. Pour les fonctionnaires militaires, la situation est pire, l’État contribue 126% de leur salaire pour leur pension. Si on considère que la contribution de l’État devrait être équivalente à la contribution patronale (16.5%) alors la subvention de l’État en faveur de la retraite des militaires s’élève à 109% (126-16.5) de leur salaire brut.
D’un point de vue économique (pas juridique), ces « surcotisations », de la part de l’État en faveur des fonctionnaires, sont des subventions fournies par l’État pour que les fonctionnaires bénéficient d’une pension prédéfinie (75% de leur dernier salaire). Ce n’est pas une cotisation normale, aucun employeur privé ne peut financer des cotisations égales à 58%-109% de leurs salaires, l’État (le contribuable) peut. Une subvention de l’État pour les retraites considérée comme une ressource par le COR, n’est rien d’autre qu’une dépense pour l’État, l’une n’est pas possible sans l’autre, dans ces conditions la recette subvention (pour le budget retraite) s’annule avec la dépense subvention de l’État. C’est une chose que le COR fait semblant d’ignorer. Les concepts de consolidation et de subventions sont deux concepts étrangers au COR. Le COR est un organisme composé de politiques, de fonctionnaires et de syndicalistes pour qui la vérité consiste à réaliser un consensus pour maintenir les avantages acquis de chacun, ça a un coût.
Cette subvention fournie par l’État à ses fonctionnaires représente €45 milliards ou 1.6% du PIB, il faut y ajouter les subventions fournies à des personnels à statut tels que la RATP, EDF, mines, etc. soit €8 milliards ou 0.3% du PIB.
Dans la mesure où ces subventions ne sont pas suffisantes pour couvrir le budget retraite, l’État transfère des fonds de certains budgets sociaux comme la famille au budget retraite (ce ne sont pas des recettes du budget retraite, mais des transferts d’un budget à un autre) soit €14 milliards ou 0.5% du PIB. L’État alloue des impôts au budget retraite, €54.5 milliards ou 1.9% du PIB. Ce transfert d’impôts du budget de l’État au budget retraite ne constitue pas une recette pour le budget retraite, c’est un transfert du budget de l’État au budget retraite ; s’il figure comme recette dans le budget retraite, alors il doit figurer comme dépense dans le budget de l’État dans la consolidation, il s’annule. En outre, l’État subventionne des agents privés pour des raisons sociales (compensation pour de faibles retraites, agriculteurs) pour €3.9 milliards ou 0.1% du PIB. Si on additionne toutes ces subventions, transferts et impôts affectés, on a, en 2023, un total de transferts s’élevant à €125 milliards.
Table 1 The budget for pensions (private and public) presented by the COR is positive
Nous considérons que le budget retraite privé et public doit présenter, seulement comme recettes, les cotisations des employés privés et publics (sans les subventions fournies par l’État en faveur de ses employés publics), les dépenses sont les versements des retraites. Tous les transferts de l’État en faveur des retraités ne sont pas des recettes du budget retraite, mais des financements du déficit (tableau 2). Le fait de considérer ces transferts publics comme des financements n’implique aucun jugement de valeur sur ces transferts, l’État (et la population) ont le droit de considérer la retraite comme une priorité nationale, et donc de la subventionner, mais l’organisme chargé de présenter le budget retraite a le devoir de présenter un budget qui ne masque pas la réalité. La réalité est que le budget retraite présenté d’une manière économique a un déficit s’élevant à €117 milliards ou 4% du PIB. Cacher cette réalité consiste à faire croire qu’aucune réforme n’est nécessaire dans ce domaine, alors que la réforme des retraites devrait être la mère des réformes en France (il est même question de revenir sur l’âge du départ à la retraite...).
Table 2 Différentes étapes pour présenter le budget retraite en France
· Une présentation qui donne une vision fausse du solde du budget retraite
D’après le COR, le budget des retraites français a un surplus s’élevant à €8 milliards ou 0.3% du PIB en 2023 (cf. table 1). C’est dû au fait que le COR considère les subventions, les transferts et les impôts affectés comme des recettes du budget pension alors que ce sont des financements du déficit qui proviennent du budget de l’État. Cette présentation est idéologique, elle a pour objectif de masquer le coût budgétaire des retraites des fonctionnaires et les réformes de structure à faire dans ce domaine.
En fait si on considère comme recettes du budget retraite, les cotisations des employés privés et publics sans les subventions de l’État, le système des pensions en France a un déficit s’élevant à €117 milliards ou 4% du PIB, représentant les trois quarts du déficit global des administrations publiques en 2023 (cf. tableau 2).
Si le gouvernement français était sérieux en matière de réduction des dépenses publiques, il commencerait par réduire les dépenses sur les pensions des fonctionnaires (en les alignant par ex. sur le privé). L’argument, qui consiste à dire que ce n’est pas possible, car c’est impopulaire, consiste à se voiler la face et reculer devant des échéances inéluctables. Le Premier Ministre actuel (F. Bayrou) connaît parfaitement la situation des retraites française et le rôle pernicieux joué par le COR dans sa présentation, néanmoins, rien ne sera fait pour réduire les avantages acquis des fonctionnaires civils et militaires, il n’a pas la majorité pour mettre en œuvre une telle réforme ni le désir de confronter la rue (comme tous ses prédécesseurs). Comme d’habitude, si le Gouvernement pratique un ajustement (ce qui reste à voir), il sera fait à travers plus d’impôts (sur les riches bien sûr) et sur les entreprises (qui eux ne défilent pas dans la rue, mais qui ont le pourvoir d’embaucher) sans réduction des dépenses (sauf celles qui n’affectent pas les fonctionnaires). “Tax and spend’’, c’est, ce qu’on appelle, en France, le socialisme, reste à voir si les marchés vont apprécier.
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